Aprés la glace .
3 participants
Aprés la glace .
http://le-plateau-du-milieu.blogspot.fr/ par
François Bordarier
Après la glace - Mis à jour le 14 mars 2009
Maintenant je me tiens dans les hautes herbes
qui poussent sur les rives de ce ruisseau et dans ma main
ce palpitement arc-en-ciel attend son destin de mort.
Comme un geste d’instinct, mon pouce pénètre la mâchoire
de la truite et reste en suspens quand un mouvement
d’éclair traverse les écailles, y expose des images, des schémas,
une carte à lire qui diraient le récit de la terre,
de son corps et de ce qui y est passé. J’y vois la même vallée
que celle où je me tiens maintenant mais il n’y a ni herbe,
ni ruisseau, ni poisson – juste un grand glacier qui vibre
comme une bête mythique qui reposerait sur le paysage blanc,
érodant son lit tandis qu’elle inspire et qu’elle expire.
Puis ces images s’éloignent et, prenant une trajectoire
qui s’impose à elle, j’observe la terre dans son balancement
de toupie changer lentement d’orbite et entrer dans un nouvau cycle.
Avec le geste ample d’une mère bordant son enfant, le soleil
réchauffe la surface de la planète et le glacier comprend qu’il est temps
de se retirer. Tout entier, il commence à fondre : charriant leur lot
de sédiments, les eaux de fusion s’engouffrent dans les failles
du glacier qui résonne à l’approche de son extinction. Les eaux
en rejoignent d’autres qui déjà creusaient leur voie jusqu’à
l’avant du glacier et, comme elles se libèrent de son emprise,
balaient sur leur cours les débris qu’elles transportent.
Pendant des millénaires d’agonie, le grand glacier creuse son espace,
pousse pierres et sédiments sur les côtés par spasmes imperceptibles
comme un cerf blessé dans un nid d’herbe tendre attendant
son dernier souffle. Enfin, celui-ci arrive et le glacier disparaît.
Mais pas tout à fait : plus haut, à des journées de marche
de cette rive où je me tiens, les yeux fixés sur ce muscle
qui se tord dans ma main, je vois une grande vallée suspendue ;
au bout de cette vallée, il y a un cirque et dans ce cirque,
il y a un lac. C’est ça, tout ce qui reste du glacier et toujours là :
pierres et sédiments entassés comme le trésor d’un dragon éteint
que l’eau dérobe lorsqu’ils atteignent leur transparence d’érosion.
Comme de larges troupeaux d’animaux sur le chemin
de leur migration, ils descendent ce ruisseau qui s’échappe
du lac, traversant le cirque puis la grande vallée suspendue,
tombant dans le vallée en auge qu’ils parcourent pendant
des journées de courants jusqu’au détour d’un virage
où ils sont déposés dans des eaux peu profondes. Plusieurs saisons
passent jusqu’à la plus froide. Comme si la vie se retirait,
le mouvement des choses cesse. Mais pas tout à fait.
Seulement visible dans le contraste du sable et de son ombre,
une truite est là, tenant contre le courant avec ses nageoires
ondulant comme des aurores boréales en miniature. Balayant
pierres et sédiments d’un mouvement caudal habile,
elle fait sa frayère, dépose ses œufs et disparaît
dans l’ombre du courant. Dans l’instant, une autre truite
vient frôler les œufs, les féconde et s’évanouit à son tour.
A nouveau, les images s’accélèrent : les œufs éclosent,
des alevins en sortent et commencent leur route de survie.
Deux années passent. Un des alevins, devenu une truite,
est là, tenant contre le courant, s’assimilant aux pierres
et sédiments, dans cette veine d’eau que j’avais décidée
de pêcher plus tôt. Dans l’eau, la truite attrape une proie
en mouvement dans son regard, la laisse passer, pivote,
s’élance à sa poursuite et ferme sa mâchoire dessus.
Comme un éclair, la douleur traverse son corps.
Sautant hors de l’eau, se tordant autant que possible,
elle essaie d’échapper à cette chose qui la tire irrésistiblement
mais plus elle se débat, plus la douleur s’accentue.
Ce n’est pas tant cette chose lui arrachant la gueule
qui la fait souffrir, c’est cette peur brûlant son crâne
et ses entrailles de ne pas comprendre contre quoi
elle est en train de se battre. L’instant d’après,
elle ne sent plus passer sur elle cette force dans laquelle
elle vivait, puis, son corps est enserré fermement,
cette chose dans sa bouche se retire soudain
et cède la place à quelque chose de plus gros.
Puis, plus rien. Plus rien ne défile sur le flanc
de cette truite qui palpite dans ma main et dont la bouche
suce le bout de mon pouce comme un nourrison hagard,
mais dans ma tête, tout ce que je viens de voir retentit
toujours comme une aurore boréale qui ondule : la vie
de la truite est ma propre vie et celle de la vie des Hommes,
pendant des milliers d’années nous avons traversé ensembles
l’âge des grands glaciers et des océans gelés et moi aussi
je vis un hameçon dans la bouche, celui d’un félin
tapis dans les hautes herbes où je me tiens maintenant,
celui de la mort qui guette dans les ombres et moi non plus,
je ne comprends pas. Tard le soir, nous nous rassemblons tous,
hommes, femmes et enfants, autour du feu de camps
où un vieillard raconte des histoires. Ses histoires parlent
d’autres hommes, femmes et enfants qui vivaient où je me tiens.
Il n’y avait ici ni herbe, ni ruisseau, ni poisson, ni félin
mais de grandes constructions en pierre et de grands
engins en fer qui se mouvaient sur les terres, sur les mers
et dans les airs. Hommes, femmes et enfants ne partageaient pas
la vie de la truite, aucun hameçon ne leurs arrachait
la gueule – ou bien ils ne le sentaient plus. Cent mille ans
et un âge glaciaire me sépare d’eux.. D’un geste sec,
mon pouce casse la nuque de la truite et je retourne au campement.
François Bordarier
Après la glace - Mis à jour le 14 mars 2009
Maintenant je me tiens dans les hautes herbes
qui poussent sur les rives de ce ruisseau et dans ma main
ce palpitement arc-en-ciel attend son destin de mort.
Comme un geste d’instinct, mon pouce pénètre la mâchoire
de la truite et reste en suspens quand un mouvement
d’éclair traverse les écailles, y expose des images, des schémas,
une carte à lire qui diraient le récit de la terre,
de son corps et de ce qui y est passé. J’y vois la même vallée
que celle où je me tiens maintenant mais il n’y a ni herbe,
ni ruisseau, ni poisson – juste un grand glacier qui vibre
comme une bête mythique qui reposerait sur le paysage blanc,
érodant son lit tandis qu’elle inspire et qu’elle expire.
Puis ces images s’éloignent et, prenant une trajectoire
qui s’impose à elle, j’observe la terre dans son balancement
de toupie changer lentement d’orbite et entrer dans un nouvau cycle.
Avec le geste ample d’une mère bordant son enfant, le soleil
réchauffe la surface de la planète et le glacier comprend qu’il est temps
de se retirer. Tout entier, il commence à fondre : charriant leur lot
de sédiments, les eaux de fusion s’engouffrent dans les failles
du glacier qui résonne à l’approche de son extinction. Les eaux
en rejoignent d’autres qui déjà creusaient leur voie jusqu’à
l’avant du glacier et, comme elles se libèrent de son emprise,
balaient sur leur cours les débris qu’elles transportent.
Pendant des millénaires d’agonie, le grand glacier creuse son espace,
pousse pierres et sédiments sur les côtés par spasmes imperceptibles
comme un cerf blessé dans un nid d’herbe tendre attendant
son dernier souffle. Enfin, celui-ci arrive et le glacier disparaît.
Mais pas tout à fait : plus haut, à des journées de marche
de cette rive où je me tiens, les yeux fixés sur ce muscle
qui se tord dans ma main, je vois une grande vallée suspendue ;
au bout de cette vallée, il y a un cirque et dans ce cirque,
il y a un lac. C’est ça, tout ce qui reste du glacier et toujours là :
pierres et sédiments entassés comme le trésor d’un dragon éteint
que l’eau dérobe lorsqu’ils atteignent leur transparence d’érosion.
Comme de larges troupeaux d’animaux sur le chemin
de leur migration, ils descendent ce ruisseau qui s’échappe
du lac, traversant le cirque puis la grande vallée suspendue,
tombant dans le vallée en auge qu’ils parcourent pendant
des journées de courants jusqu’au détour d’un virage
où ils sont déposés dans des eaux peu profondes. Plusieurs saisons
passent jusqu’à la plus froide. Comme si la vie se retirait,
le mouvement des choses cesse. Mais pas tout à fait.
Seulement visible dans le contraste du sable et de son ombre,
une truite est là, tenant contre le courant avec ses nageoires
ondulant comme des aurores boréales en miniature. Balayant
pierres et sédiments d’un mouvement caudal habile,
elle fait sa frayère, dépose ses œufs et disparaît
dans l’ombre du courant. Dans l’instant, une autre truite
vient frôler les œufs, les féconde et s’évanouit à son tour.
A nouveau, les images s’accélèrent : les œufs éclosent,
des alevins en sortent et commencent leur route de survie.
Deux années passent. Un des alevins, devenu une truite,
est là, tenant contre le courant, s’assimilant aux pierres
et sédiments, dans cette veine d’eau que j’avais décidée
de pêcher plus tôt. Dans l’eau, la truite attrape une proie
en mouvement dans son regard, la laisse passer, pivote,
s’élance à sa poursuite et ferme sa mâchoire dessus.
Comme un éclair, la douleur traverse son corps.
Sautant hors de l’eau, se tordant autant que possible,
elle essaie d’échapper à cette chose qui la tire irrésistiblement
mais plus elle se débat, plus la douleur s’accentue.
Ce n’est pas tant cette chose lui arrachant la gueule
qui la fait souffrir, c’est cette peur brûlant son crâne
et ses entrailles de ne pas comprendre contre quoi
elle est en train de se battre. L’instant d’après,
elle ne sent plus passer sur elle cette force dans laquelle
elle vivait, puis, son corps est enserré fermement,
cette chose dans sa bouche se retire soudain
et cède la place à quelque chose de plus gros.
Puis, plus rien. Plus rien ne défile sur le flanc
de cette truite qui palpite dans ma main et dont la bouche
suce le bout de mon pouce comme un nourrison hagard,
mais dans ma tête, tout ce que je viens de voir retentit
toujours comme une aurore boréale qui ondule : la vie
de la truite est ma propre vie et celle de la vie des Hommes,
pendant des milliers d’années nous avons traversé ensembles
l’âge des grands glaciers et des océans gelés et moi aussi
je vis un hameçon dans la bouche, celui d’un félin
tapis dans les hautes herbes où je me tiens maintenant,
celui de la mort qui guette dans les ombres et moi non plus,
je ne comprends pas. Tard le soir, nous nous rassemblons tous,
hommes, femmes et enfants, autour du feu de camps
où un vieillard raconte des histoires. Ses histoires parlent
d’autres hommes, femmes et enfants qui vivaient où je me tiens.
Il n’y avait ici ni herbe, ni ruisseau, ni poisson, ni félin
mais de grandes constructions en pierre et de grands
engins en fer qui se mouvaient sur les terres, sur les mers
et dans les airs. Hommes, femmes et enfants ne partageaient pas
la vie de la truite, aucun hameçon ne leurs arrachait
la gueule – ou bien ils ne le sentaient plus. Cent mille ans
et un âge glaciaire me sépare d’eux.. D’un geste sec,
mon pouce casse la nuque de la truite et je retourne au campement.
gill- Vieux Sage de la grotte
- Messages : 4819
Date d'inscription : 06/04/2008
Age : 76
Localisation : Piquebussargues le haut
Emploi/loisirs : de toutes les couleurs
Re: Aprés la glace .
après la glace ?? .... LE FROMAGE !! J ai bon là ?
ET ho l'animal si tu nous disais d'ou sort ce joli texte
ET ho l'animal si tu nous disais d'ou sort ce joli texte
did- Ours mal léché
- Messages : 3966
Date d'inscription : 21/05/2008
Age : 58
Re: Aprés la glace .
c'est la : http://le-plateau-du-milieu.blogspot.fr/ par
François Bordarier
beau texte
la vie de la truite, aucun hameçon ne leurs arrachait
la gueule – ou bien ils ne le sentaient plus. Cent mille ans
et un âge glaciaire me sépare d’eux.. D’un geste sec,
mon pouce casse la nuque de la truite et je retourne au campement.
la suite
arrivé sous la tente à l'aide d'un couteau effilé
d'un geste sec, je l'ouvre et sors
toutes ses entrailles encore fumantes
vite fait, je la lave
Le Président et L'Ours sont réunis
tous deux prés du feu, à l'alimenter
je leur apporte cette noble dépouille
qu'ils s'empressent de mettre dans la poêle
vite du beurre, des noisettes
un bon vin, un pic st loup
pas une piquette de Toulouse
ne surtout pas la cramer
ha que c'est bon! plaisir ultime
que jamais les no kill ne connaitront
ainsi va le destin de cette pauvre bête
née dans les glaciers cuits sous les châtaigniers
François Bordarier
beau texte
la vie de la truite, aucun hameçon ne leurs arrachait
la gueule – ou bien ils ne le sentaient plus. Cent mille ans
et un âge glaciaire me sépare d’eux.. D’un geste sec,
mon pouce casse la nuque de la truite et je retourne au campement.
la suite
arrivé sous la tente à l'aide d'un couteau effilé
d'un geste sec, je l'ouvre et sors
toutes ses entrailles encore fumantes
vite fait, je la lave
Le Président et L'Ours sont réunis
tous deux prés du feu, à l'alimenter
je leur apporte cette noble dépouille
qu'ils s'empressent de mettre dans la poêle
vite du beurre, des noisettes
un bon vin, un pic st loup
pas une piquette de Toulouse
ne surtout pas la cramer
ha que c'est bon! plaisir ultime
que jamais les no kill ne connaitront
ainsi va le destin de cette pauvre bête
née dans les glaciers cuits sous les châtaigniers
alain- cormoran a pattes rouges
- Messages : 3869
Date d'inscription : 31/03/2008
Age : 60
Localisation : loin du Président
Emploi/loisirs : photographe de charme
Re: Aprés la glace .
'' Ici = http://le-plateau-du-milieu.blogspot.fr/ par ''did a écrit:après la glace ?? .... LE FROMAGE !! J ai bon là ?
ET ho l'animal si tu nous disais d'ou sort ce joli texte
François Bordarier
Il a écrit ces textes , suite à la lecture de ce formidable livre '' La Route '' qui ne peut laisser indifférent . Perso , j'ai eu du mal à lire autre chose aprés ce bouquin . D'ailleurs l'histoire du livre peut trés bien arriver à n'importe quel moment , nous sommes bien partis pour ça !!
gill- Vieux Sage de la grotte
- Messages : 4819
Date d'inscription : 06/04/2008
Age : 76
Localisation : Piquebussargues le haut
Emploi/loisirs : de toutes les couleurs
Re: Aprés la glace .
la route je l'ai vu en film avec mortensen, sa laisse une certaine angoisse dans les tripes à la fin
did- Ours mal léché
- Messages : 3966
Date d'inscription : 21/05/2008
Age : 58
Re: Aprés la glace .
Mais le livre avec ses descriptions , et cette longue marche vers ... la mer , vers quoi en fait ! car ils ne sont sûr de rien ! un sacré bouquin , et trés bien écrit ( traduit )
gill- Vieux Sage de la grotte
- Messages : 4819
Date d'inscription : 06/04/2008
Age : 76
Localisation : Piquebussargues le haut
Emploi/loisirs : de toutes les couleurs
Re: Aprés la glace .
le livre d'elie avec denzel wachington est pas mal non plus et un peu dans le même état d'esprit
did- Ours mal léché
- Messages : 3966
Date d'inscription : 21/05/2008
Age : 58
Re: Aprés la glace .
Je vais attendre un peu avant de lire un autre bouquin de ce style . J'attaque '' l'Ombre du vent '' un des dix livres à lire !!!!
'' Dans la Barcelone de l’après-guerre civile, « ville des prodiges » marquée par la défaite, la vie est difficile, les haines rôdent toujours. Par un matin brumeux de 1945, un homme emmène son petit garçon – Daniel Sempere, le narrateur – dans un lieu mystérieux du quartier gothique : le Cimetière des Livres Oubliés. L’enfant, qui rêve toujours de sa mère morte, est ainsi convié par son père, modeste boutiquier de livres d’occasion, à un étrange rituel qui se transmet de génération en génération : il doit y « adopter » un volume parmi des centaines de milliers. Là, il rencontre le livre qui va changer le cours de sa vie, le marquer à jamais et l’entraîner dans un labyrinthe d’aventures et de secrets « enterrés dans l’âme de la ville » : L’Ombre du Vent.
'' Dans la Barcelone de l’après-guerre civile, « ville des prodiges » marquée par la défaite, la vie est difficile, les haines rôdent toujours. Par un matin brumeux de 1945, un homme emmène son petit garçon – Daniel Sempere, le narrateur – dans un lieu mystérieux du quartier gothique : le Cimetière des Livres Oubliés. L’enfant, qui rêve toujours de sa mère morte, est ainsi convié par son père, modeste boutiquier de livres d’occasion, à un étrange rituel qui se transmet de génération en génération : il doit y « adopter » un volume parmi des centaines de milliers. Là, il rencontre le livre qui va changer le cours de sa vie, le marquer à jamais et l’entraîner dans un labyrinthe d’aventures et de secrets « enterrés dans l’âme de la ville » : L’Ombre du Vent.
gill- Vieux Sage de la grotte
- Messages : 4819
Date d'inscription : 06/04/2008
Age : 76
Localisation : Piquebussargues le haut
Emploi/loisirs : de toutes les couleurs
Sujets similaires
» Glace aux cèpes (pour mme. Gill)
» glace catalanne façon auvergnate
» après l'anguille!
» Apres D.T.C voici P.D.F
» Apres-midi carpe
» glace catalanne façon auvergnate
» après l'anguille!
» Apres D.T.C voici P.D.F
» Apres-midi carpe
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
|
|