La rivière en echos

par gill Ven 7 Nov 2014 - 14:38

de JP. Habersaat

OUVERTURE SANS FERMETURE

L'ouverture de la pêche, au printemps, a une signification toute particulière. Pour moi, la première a été le début d'une aventure commencée lorsque je n'avais pas encore treize ans. Une aventure qui perdure toujours quelque six décennies plus tard. L'intensité et la fréquence des sorties au bord de l'eau ont changé, je le concède. Avec l'âge qui avance inexorablement, une stature moins svelte, une agilité perdue et un souffle plus court, la fermeture approche peut-être, mais pas encore définitivement.
Aux quelques balbutiements du début, j'ai vite préféré le chant et le courant rapide d'une rivière à la beauté et à la tranquillité de notre lac Léman. J'ai la chance d'habiter un pays, une région riche en cours d'eau où vit le plus noble des poissons d'eau douce : la truite de rivière.
Bien sûr, certains prétendront avec raison que son grand cousin, le saumon atlantique, en demeure le roi incontesté. Mais il n'a jamais hanté l'esprit des pêcheurs genevois. Toutes les eaux du bassin du Rhône se mêlent finalement à celles de la Méditerranée qu'il n'a pas honorées de sa présence. Seuls, le Rhin et ses affluents ont eu l'honneur de l'héberger, il y a bien longtemps. Barrages et pollutions ont forcé ce roi à abdiquer. Mais ne dit-on pas qu'un jour peut-être...

Je suis donc devenu pêcheur de truites, même si j'ai aussi tenté ma chance avec cet autre salmonidé qu'est l'ombre commun, hélas devenu aujourd'hui si rare dans nos rivières. Dans le Rhône, en taquinant mon poisson préféré, j'ai aussi péché, un peu par hasard, d'autres espèces : le vengeron ou gardon de nos amis français, la perche ou le barbeau et pour un temps, ces poissons-chats d'origine américaine, à la gueule et aux barbillons démesurés. On se demande bien comment ils ont pu coloniser le fleuve, si ce n'est par des lâchers sauvages.

J'ai eu aussi la chance d'exercer mon violon d'Ingres dans plusieurs rivières des Alpes suisses, de Laponie finlandaise, de Norvège, d'Écosse, d'Irlande où des Laurentides canadiennes. Magnifiques souvenirs dont je conterai les détails dans la seconde partie de ce récit.

Pour le commun des mortels, le pêcheur de truites reste un personnage un peu particulier, souvent entêté, parfois menteur avec un sens aigu de l'exagération. Que le temps soit glacial, alors que les gouttelettes d'eau obstruent en gelant les anneaux de sa canne, qu'il neige à gros flocons engourdissant les doigts, qu'il pleuve à verse avec l'eau dégoulinant dans le cou malgré le chapeau protecteur, que le soleil de l'été lui brûle la nuque, on peut le trouver au bord de la rivière dès les premières lueurs de l'aube.
Il est le spectateur privilégié de l'éveil de la nature, de la brume s'estompant peu à peu au-dessus du courant, l'auditeur attentif des sons de la forêt, d'abord assourdis par le sommeil, puis racontant la merveilleuse tonalité de la vie, du chant des oiseaux. Il peut être chanceux d'avoir pour compagnons de pêche le magnifique héron cendré ou le martin-pêcheur multicolore qui, sur la rive d'en face, guettent la première proie de leur petit déjeuner.
Son appât, son leurre ou sa mouche explore les coins et recoins de la rivière avec patience, insistance, sans découragement, à la recherche de cette truite sauvage dont la capture est tant espérée. Et les heures de passer et les pas de s'accumuler sans qu'il s'en aperçoive vraiment